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Dès 2020, enfin les années folles de la Nati?

La décennie écoulée a permis à l’équipe de Suisse d’affirmer son jeu offensif, d’affûter son intransigeance face aux adversaires faibles et d’apaiser la problématique de l’intégration des binationaux. Mais pas de briser le plafond de verre des matchs à élimination directe

Avant de partir pour Bakou, le capitaine de la Nati, Granit Xhaka, confiait avoir préparé des affaires jusqu’au 11 juillet, date de la finale de l’Euro. En marge du premier entraînement sur sol azéri, le président de l’Association suisse de football (ASF), Dominique Blanc, glissait que ses vacances commenceraient le 12. Entre ces deux déclarations, d’autres joueurs et membres du staff ont manifesté leur intention d’aller loin dans le tournoi. Ce qui relève aujourd’hui du projet concret davantage que du rêve étourdi.

Concrétiser ses promesses: ce sera peut-être le leitmotiv de l’équipe nationale pour la décennie qui débute. C’est l’horizon qu’a ouvert la précédente. L’Euro 2016, en France, avait donné au

Temps l’occasion d’ausculter l’histoire de l’équipe nationale à travers les figures de sept grands témoins, un par décennie, d’Eugène Parlier pour les années 1950 à Johan Djourou pour les années 2010. Le défenseur genevois, qui n’a plus été sélectionné depuis 2018 et vient d’annoncer sa retraite sportive, parlait alors d’une Suisse «devenue sexy» avec ses joueurs aguerris très jeunes au plus haut niveau et débarrassés d’une timidité quasi identitaire. Il relevait «le potentiel énorme» d’une formation qui venait de tenir tête aux futurs vice-champions du monde argentins, en huitièmes de finale au Brésil, et exhortait à tout faire pour franchir un nouveau palier.

Des transferts en pagaille

La suite fut à l’avenant. La sélection de Vladimir Petkovic a continué d’annoncer de hautes aspirations sans parvenir à briser le plafond de verre des matchs à élimination directe. En 2016, elle sort de l’Euro après une séance de tirs au but perdue contre la Pologne. En 2018, elle quitte la Coupe du monde en Russie sur une performance indigne de ses capacités contre la Suède (1-0).

Maintenant que les années 2010 sont terminées, on peut l’affirmer sans crainte de porter le mauvais oeil: elles resteront pour l’équipe de Suisse la décennie des ambitions frustrées. Paradoxalement, elles furent marquées par une question récurrente: cette Nati était-elle la meilleure de l’histoire?

Le débat s’est insinué lorsqu’un entraîneur deux fois vainqueur de la Ligue des champions, Ottmar Hitzfeld, a accepté d’en devenir le sélectionneur (de 2008 à 2014). Il a été entretenu par des participations aux grands rendez-vous désormais quasi systématiques (seul l’Euro 2012 a été manqué depuis la Coupe du monde 2006). Il est aujourd’hui nourri par des «p’tits Suisses» de plus en plus nombreux à s’exporter dans les grands championnats, pour des montants inédits. Dans la foulée de Granit Xhaka, passé de Mönchengladbach à Arsenal pour 45 millions d’euros à l’été 2016, les 11 transferts les plus onéreux de l’histoire du football suisse ont été réalisés au cours des années 2010.

Tous ces arguments sont aussi recevables que ceux qui les contredisent. Certes, l’ASF a réussi un recrutement de prestige avec «Gottmar», mais elle a échoué à convaincre Marcel Koller ou Lucien Favre de prendre sa succession. Certes, la Nati se qualifie presque toujours pour les grands tournois, mais la Coupe du monde réunit désormais 32 équipes (bientôt 48) et le Championnat d’Europe des nations, 24. Certes, des joueurs suisses sont recrutés à coups de millions, mais dans le contexte d’un football international plus dépensier que jamais.

La comparaison des époques reste un exercice périlleux. Il y a peu de doutes quant au fait que Yann Sommer, Granit Xhaka ou Haris Seferovic sont des athlètes plus complets, plus endurants, mieux préparés que ne l’étaient Eugène Parlier, Daniel Jeandupeux ou Heinz Hermann. Mais qu’en est-il du niveau de chacun rapporté à son propre contexte? Aucun attaquant de la Nati actuelle n’a la stature d’un Stéphane Chapuisat ni d’un Alex Frei. Et dans l’effectif qui se prépare pour l’Euro, quel joueur aurait sa place dans la liste de Didier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de France?

Pour le reste, esquisser l’héritage sportif des années 2010 revient vite à évoquer l’oeuvre de Vladimir Petkovic, sélectionneur depuis septembre 2014. Il n’était alors pas le premier choix des dirigeants, et malgré la Coupe d’Italie remportée avec la Lazio, il a dû faire ses preuves, convaincre, dans un climat de circonspection qui perdure encore. En 2019, quand l’ASF traitait l’affaire de la prolongation de son contrat, une partie de la presse alémanique considérait bruyamment que l’homme avait fait son temps.

Vous avez dit «Balkangraben»?

Sous son management orienté vers l’intérieur (il agit davantage qu’il ne communique), la Nati n’a pas multiplié les exploits ni quand cela compte vraiment, ni contre les grandes nations. Mais elle est devenue intransigeante contre les adversaires faibles, jusqu’à accumuler la plus longue série de victoires de son histoire (10) entre septembre 2016 et octobre 2017. Elle ne perd plus contre l’Azerbaïdjan (1996) ou le Luxembourg (2010). Elle ne craint plus des pays qui autrefois lui faisaient peur (Hongrie, Bulgarie, Grèce). Elle a ponctuellement ébahi les observateurs (la victoire 5-2 contre la Belgique, la qualification pour le Final Four de la première Ligue des nations).

Et puis elle a changé de logiciel: désormais l’équipe de Suisse commence ses rencontres dans l’idée d’imposer son jeu plutôt que de s’adapter à celui de ses adversaires, quels qu’ils soient. Son football se veut porté vers l’avant, moderne, percutant, incarné par des latéraux à qui l’on demande de se faire ailiers.

Les années 2010 auront aussi vu émerger puis disparaître le spectre d’un «Balkangraben» et, de manière générale, les craintes liées à l’intégration des Suisses d’origine étrangère au sein de l’équipe nationale, notamment au gré d’une «quatrième vague» de joueurs aux racines africaines. L’Euro 2016 a été marqué par la confrontation fratricide face à l’Albanie (un Xhaka de chaque côté), la Coupe du monde 2018 par l’affaire des aigles bicéphales contre la Serbie, mais le tournoi de cet été sans que la problématique ne soit dans l’air. Là encore, la Nati est parvenue à élargir son horizon.

Désormais l’équipe de Suisse commence ses rencontres dans l’idée d’imposer son jeu plutôt que de s’adapter à celui de ses adversaires

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2021-06-11T07:00:00.0000000Z

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