Le Temps epaper

AUTOBIOGRAPHIE D’UN CHÊNE

MARCO DOGLIOTTI

Biologiste et forestier, Laurent Tillon raconte à la première personne la vie d’un chêne vieux de 240 ans. A lire avant d’aller marcher en forêt

◗ Au sein de la nation iroquoise, la coutume exigeait que l’on commence une assemblée en demandant qui parlerait à la place du loup. La volonté de donner la parole aux vivants non humains fonde la collection «Mondes sauvages» des Editions Actes Sud. Dans Etre un chêne. Sous l’écorce

de Quercus, Laurent Tillon nous raconte, en biologiste et ingénieur forestier passionné, la vie de «son chêne», l’arbre majestueux qu’il ne cesse de retrouver depuis l’adolescence et qui constitue le centre de son monde. Le lieu où, plus qu’ailleurs, il se sent à sa place. En élargissant la perspective, c’est aussi l’histoire de la forêt de Rambouillet qui nous est contée, et un écosystème forestier dans son ensemble qui est décrit.

Un chêne écrit son autobiographie, année après année, dans des cernes concentriques. Pour qui sait l’observer, l’architecture du fût et des branches est tout aussi parlante. Chaque branche doit plus à la nécessité qu’au hasard. Elle est à la fois autonome et solidaire de l’ensemble. Plus troublant et poétique: les branches font preuve de «timidité», évitent de se toucher entre elles, comme de peur d’infliger une blessure. De même, le chêne respecte une légère distance avec ses voisins. De ces derniers, hêtres, bouleaux, charmes, pins, le chêne n’est pas indépendant: en rivalité pour accéder à la lumière, les arbres forment cependant un réseau solidaire, capable de partager des ressources, d’échanger des informations ou de se défendre en commun face à des agresseurs.

ÉQUATION COMPLEXE

Nous découvrons aussi qu’un grand chêne abrite un écosystème à part entière. De sa cime peuplée de colonies de chauve-souris à la stupéfiante organisation sociale au mystérieux réseau qui relie un arbre aux autres par le biais de filaments de champignons, chapitre après chapitre s’offre à notre regard une immense variété d’espèces animales et végétales, et de micro-organismes.

Afin que vive et prospère toute cette biodiversité, il conviendrait d’intervenir le moins possible, notamment en laissant le bois mort sur place. Objectif difficilement conciliable avec une forte demande en bois, que ce soit pour la construction ou le chauffage, et la nécessité de proposer au public une forêt sécurisée, didactique et jolie. C’est à la résolution de cette complexe équation qu’est appelé le forestier moderne. Quant à nous simples promeneurs, il est bien délectable en ce printemps d’aller en forêt. Après avoir lu ce livre, nous ne l’aborderons plus de la même manière.

Livres

fr-ch

2021-05-08T07:00:00.0000000Z

2021-05-08T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/282093459611487

Le Temps SA