TOUTES LES COULEURS DE LA JUNGLE

Justin Theroux incarne le patriarche dans la nouvelle adaptation du roman de son oncle, déjà porté à l’écran par Peter Weir, «The Mosquito Coast». Dans sa version 2021, cette fuite en famille des Etats-Unis prend une autre tournure

Chez les Theroux, on fait les choses en famille. En 1981, l’oncle, Paul Theroux, écrivain prolifique et notamment auteur du Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni, publie The Mosquito Coast (Le Royaume des moustiques en traduction française), qui devient vite son ouvrage le plus connu. En 2021, le neveu, Justin, interprète le personnage principal de cette aventure familiale dans la série que diffuse Apple TV+ ces jours. Passage de témoin pour une oeuvre intrigante. Entre-temps, le roman a été largement promu auprès d’une génération avec le film qu’en avait tiré Peter Weir en 1986, porté par Harrison Ford et Helen Mirren.

Allie Fox est un inventeur. Surtout, un homme en colère contre son pays, le consumérisme, les ravages sociaux et écologiques, les autorités, etc. Un jour, encore plus fâché qu’à l’ordinaire, il embarque sa famille, un peu de force, pour une équipée à laquelle il rêvait depuis quelque temps: vers la «Côte des moustiques», au Honduras, où la smala s’enfonce dans la jungle. Allie peut y développer, en grande taille, sa machine à fabriquer de la glace, ce qui fascine les autochtones et dynamise la région… un temps.

UNE ENTAME SURPRENANTE

Ça, c’est le résumé du film qu’avait écrit Paul Theroux lui-même avec le scénariste et cinéaste Paul Schrader. Si on le connaît, ou que l’on fait du rattrapage, on ne peut qu’être surpris par l’entame de la série. Neil Cross, son créateur, introduit un nouvel élément qui change tout à fait le propos. Désormais, Ellie et sa femme, qu’incarne Melissa George, sont traqués, accusés de quelque crime. Dans les deux épi-Comparer sodes montrés par Apple à l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait pas pourquoi. On devine que le cas est grave, et que les griefs sautent par-dessus les frontières des Etats, puisque les principaux chasseurs à leurs basques appartiennent au FBI.

Initiateur de la sombre Luther, Neil Cross semble s’amuser à esquisser une petite forme d’ironie au début de son histoire. Après quelques premières mésaventures, l’inventeur contrarié, sa femme et ses deux enfants se retrouvent à chercher à fuir… vers le Mexique. Quatre années d’administration Trump, d’esquisse de mur et de crises migratoires à répétition, pour déboucher en fiction sur la fuite d’Américains moyens, quoique suspects, vers le maudit pays de la frontière sud… la manière dont le film, vieux de près de quarante ans, et la série d’aujourd’hui s’emparent de la trame de Paul Theroux sera passionnant. Le long métrage de Peter Weir trouble toujours par son ambiguïté, à la fois narration d’une épopée familiale, évocation d’une figure paternelle devenue tyrannique, et roman de formation grâce au point de vue du fils, qui conte ces malheurs. Le père devait finir par chuter, c’était fatal et même nécessaire pour que, in fine, ce périple épuisant, dangereux, trouve un sens en même temps qu’une issue.

Dans la version 2021, avec le neveu Justin en père barbu, le patriarche est d’abord posé comme victime. Le public ne peut s’empêcher de penser qu’il y a peut-être accusation abusive, voire injustice; sinon, toute cette affaire virerait à une variation biscornue, et clanique, de Bonnie & Clyde.

OÙ IRA «THE MOSQUITO COAST» 2021?

On peut redouter cette tournure des choses, notamment face à des scènes de fusillade à l’approche de la frontière mexicaine, dans le désert de Californie du Sud, qui rappellent un peu le Nouveau-Mexique de Breaking

Bad. Si la Mosquito Coast 2021 se contente de suivre une fratrie en cavale, le projet accouchera de quelque chose d’assez creux. Mais les curieuses et curieux peuvent faire confiance aux Theroux, de deux générations, pour réserver quelques surprises et un développement plus profond de leur entreprise. ■

Une partie de l’oeuvre de Paul Theroux est éditée par Grasset dans ses «Cahiers rouges», mais pas «Le Royaume des moustiques», à chiner. Il avait été publié par Calmann-Lévy.

«The Mosquito Coast», le film de Peter Weir, est disponible sur des plateformes payantes telles qu’iTunes et chez Warner. «The Mosquito Coast», série en sept épisodes de 55’, en diffusion hebdomadaire par Apple TV+.

Dans le film, le père devait finir par chuter, c’était fatal et nécessaire