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UN CONSERVATOIRE TOUT EN LUMIÈRE

SYLVIE BONIER t @SylvieBonier

Après trois ans de travaux, le Conservatoire de Genève resplendit à nouveau. Plus lumineux et agrandi, il est à la pointe de la technique. Visite en compagnie de sa directrice.

Après trois ans de travaux, l’institution resplendit. Plus lumineux et agrandi, le bâtiment s’impose comme un lieu à la pointe de la technique. Visite avec la directrice Eva Aroutunian et l’architecte Stéphane Guex

◗ Les parois du chantier tombent progressivement. Enfin, après trois ans de travaux, le Conservatoire de musique de Genève se refait une nouvelle jeunesse. Le chantier vient de s’achever et la remise des clés interviendra dès que l’autorisation d’exploitation sera décernée. Mais il faudra attendre l’automne pour que le bâtiment, inauguré en 1858, retrouve sa pleine fonctionnalité après une période de covid qui a fortement retardé son utilisation et sa fréquentation.

Les jeunes élèves musiciens peuvent d’ores et déjà se réjouir. Leur maison d’apprentissage rénovée est un bijou. Ceux qui ont achevé leurs études avant ce spectaculaire renouvellement regretteront d’avoir été privés d’un tel outil. Aujourd’hui, c’est une bâtisse baignée de lumière qui attend les apprentis musiciens; un édifice à l’esthétique pure, aux teintes douces et reposantes, avec des espaces de travail et de jeu magnifiquement restaurés, transformés ou nouvellement créés.

Pour la directrice, Eva Aroutunian, en poste depuis 2007, cette rénovation est une forme d’aboutissement: «Il est rare de vivre deux événements fondamentaux dans une carrière. Le premier s’est déroulé quand je suis arrivée. C’était un moment crucial de l’institution car l’entité commune des deux écoles de musique [enseignements élémentaire et secondaire, d’un côté, professionnel et concertiste, de l’autre, ndlr] a été séparée en deux fondations indépendantes: l’une de droit privé pour le Conservatoire de musique, l’autre de droit public pour la Haute Ecole de musique, qui devait pouvoir intégrer les accords de Bologne afin d’harmoniser ses filières professionnelles. La grande réussite est d’avoir dépassé le cap de la séparation pour développer ensemble des projets inédits.»

L’autre étape est donc la rénovation du conservatoire. «Depuis l’ébauche de la première idée, le projet a mis onze ans à voir le jour, rappelle Eva Aroutunian. Le bureau d’architectes GM Architectes Associés a répondu à toutes les exigences requises – respect du patrimoine, modernisation, esthétique et confort.»

DES MATÉRIAUX NOBLES

Le projet Trace-Ecart a été retenu sur les 13 finalistes et un total de 32 candidatures présentées à un concours anonyme. «Il illustre parfaitement le lien désiré entre tradition et futur», souligne la directrice. La transformation est d’importance. Elle ne représente pas qu’un lifting. «En collaboration étroite avec le Département des monuments et des sites, la partie historique a été remise en valeur tout en s’adaptant aux normes techniques contemporaines. De nombreux ajouts ont été créés. Notamment 16 salles de travail supplémentaires en sous-sol, un grand local technique, plusieurs pièces de production ou un lieu de restauration», précise l’architecte Stéphane Guex.

Première nouveauté: en abordant l’édifice éclairci en beige, on découvre sur le flanc droit une terrasse pavée pouvant accueillir chaises, tables et parasols. Le public pourra gagner aussi l’intérieur par le nouveau café qui dessert cette esplanade. Le lieu, de 150 m2 de surface et 5,80 m de hauteur, séduit par son élégance, sa sobriété, la vastitude de son espace et sa luminosité, véritable fil conducteur de la rénovation.

Les matériaux? Nobles, on les retrouvera partout. Laiton, bois, verre, granit, pierre… Des tubes lumineux rythment le plafond et le meuble du bar est composé de tuyaux de noyer sombre, pour, lui aussi, rappeler ceux de l’orgue. «Cet espace permettra une convivialité et une animation indispensables, tant pour les étudiants que pour le public, explique Eva Aroutunian. Le café sera ouvert sur la ville car les consommateurs externes pourront aborder, dehors et dedans, un univers qu’ils ne côtoient pas d’habitude. Les gens qui travaillent, ceux de passage ou les touristes pourront se mêler aux élèves en journée. Le soir, le public des concerts de la maison, mais aussi du Victoria Hall ou du Grand Théâtre, bénéficiera d’un lieu de petite restauration. Ne disposant pas de cuisine, le bar proposera une carte froide et de produits réchauffés, simples mais bons. La mise au concours d’un gérant est lancée.»

COMME UNE RESPIRATION

En pénétrant plus en avant dans l’édifice, c’est la clarté générale qui émerveille toujours. Grâce aux teintes crème et taupe clair, éclairées par des sols et plafonds en verre épais, la lumière zénithale circule partout, du sous-sol au premier étage. L’impression de respiration domine. L’ancienne «Grande salle» du rez-de-chaussée a été renommée Franz Liszt, en hommage à l’illustre professeur de l’institution de 1836 à 1838. Le vieux rose bonbon des murs a disparu au profit d’un bleu presque roi. Les sièges en velours venus de Lyon, et les motifs réinterprétés des tapisseries d’origine, offrent un sentiment de cocon.

Sous les caissons rafraîchis du plafond sont accrochés trois lustres circulaires en tubes. Sur les murs, des appliques de même composition. Le tout, là encore, rappelle l’orgue, qui a été déposé, rénové et réinstallé plus au fond, avec une façade neuve. La scène inclinée a été redressée à l’horizontale et agrandie pour pouvoir accueillir une centaine de musiciens avec choeur. Des sorties de secours en fond de plateau servent d’entrée aux musiciens, et un appareil de levage permet de monter un piano sur scène et de l’escamoter. La jauge a dû être réduite pour répondre aux normes de sécurité actuelles. Les couloirs d’accès, l’espace entre les rangs et la largeur des sièges agrandis ont forcé la suppression de 40 sièges, portant la capacité à 340 places.

«BLACKBOX» DERNIER CRI

Sous les pieds des prochains spectateurs, une autre création: une blackbox équipée dernier cri pour les performances théâtrales et de musiques électrifiées. «Cela a été un casse-tête pour la maison Kahle Acoustics, en fonction des hauteurs limitées disponibles. Les deux salles ne devaient pas se gêner en cas de concert au même moment. Le résultat est très réussi: on n’entend rien», explique l’architecte. Et que dire des salles de travail, nouvelles ou restaurées? Qu’on s’y sent apaisé par l’acoustique sereine, les rideaux absorbants et les tons harmonieux et clairs. Qu’on a envie d’y rester sans fin, tant l’ambiance et l’esthétique sont propices à la concentration et à l’épanouissement de la sensibilité.

En surface ou sous terre, distribués par un couloir où les anciennes fondations dégagées renforcent la présence de l’histoire, des plafonniers circulaires à variateur d’éclairage offrent beauté et calme. Les professeurs apprécieront sans doute aussi cette atmosphère douce. Restent les deux lieux de production, constitués sur d’anciennes salles. La fameuse «Hiltbrand», où le célèbre professeur de piano donnait des cours réputés, a été reliée à deux autres pour créer un nouveau lieu de concert intermédiaire pouvant accueillir 80 personnes. Son nom? «Bartholoni», à savoir le fondateur de l’institution.

IDENTITÉ RENFORCÉE

Enfin, l’ancienne «Salle 20», où tant d’examens se sont déroulés, est devenue la «Salle Dinu Lipatti», lui aussi professeur de piano émérite de la maison. Elle peut accueillir des concerts de musique de chambre, avec une cinquantaine d’auditeurs. Lustre ovale à tuyaux de verre, chaises bleu profond, sol en bois marqueté et murs tapissés à motifs souples: on y écoutera quatuors et récitals avec délectation.

La directrice ne cache ni son bonheur ni sa fierté. «Le regroupement au centre-ville, rendu possible par ces aménagements qui doublent le nombre d’espaces de travail, représente comme un soleil avec ses 15 planètes réparties dans le canton. Le but, c’est que chaque élève arrive à bénéficier, de façon collective et individuelle, d’un enseignement à l’épicentre fédérateur de la place Neuve. Avec la fréquentation de 1000 élèves, plus les concerts, cela représente jusqu’à 2000 personnes par semaine. La rénovation permettra d’augmenter l’activité, de multiplier les échanges, les expériences et les rencontres, dans une technicité et un bien-être nettement améliorés. La multiplicité des lieux de production permet à des projets très variés de se retrouver en un même endroit au même moment. C’est très stimulant pour tous. L’identité de la maison s’en trouve renforcée. C’est un cadeau que j’ai l’impression de recevoir. Comme un immense bouquet.»

Week-end

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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