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L’Europe, notre sécurité

YVES PETIGNAT JOURNALISTE

Notre sécurité dépend de celle du continent européen. Et, sans abandon d’une partie de souveraineté, nous n’aurons pas de sécurité. Voilà le discours que le Conseil fédéral peine encore à afficher ouvertement, mais que l’on peut déchiffrer entre les lignes dans les 44 pages du dernier Rapport de politique de sécurité du Conseil fédéral. Bénéficiaire clandestine du parapluie de ses voisins européens, la Suisse y découvre que l’espace européen de stabilité et de prévisibilité qui l’entoure se fragilise. Et menace donc sa propre sécurité. L’acquisition du futur avion de combat, américain ou européen, démontrera jusqu’à quel point le Conseil fédéral est conséquent avec ses propres analyses.

Depuis le précédent rapport de 2016, le Conseil fédéral admet que «les attaques militaires conventionnelles ne sont pas perçues comme une menace directe». Même si la Suisse serait concernée en cas de conflit entre la Russie et l’OTAN. Dès lors, les «nouvelles» menaces ne sont plus si nouvelles. Et les cyberattaques, désinformation, grande criminalité, terrorisme, extrémisme violent, déstabilisation ou conflits armés hybrides à la périphérie du continent figurent depuis lors en tête des menaces. Par contre, le rapport s’inquiète désormais de la déstabilisation de l’Europe. Le repli régionaliste, voire nationaliste, les tensions internes, économiques et politiques conduisent à «un affaiblissement de la volonté des Etats européens de s’engager ensemble pour la sécurité». Du coup, «l’effet protecteur du contexte géographique et politique de la Suisse décline, car il est devenu instable et certains événements éloignés peuvent rapidement et directement compromettre la sécurité du pays». Autrement dit, ses voisins rechignant à investir dans un projet commun de sécurité, la Suisse est elle aussi exposée.

Cela n’empêche pas le gouvernement d’espérer, d’une part, que les pressions mises par les Etats-Unis sur les pays européens pour qu’ils augmentent leur contribution à la défense commune aient «des répercussions importantes s’agissant de la Suisse». Et, d’autre part, de profiter des «chances découlant du développement de la politique de sécurité et de défense de l’UE afin d’accroître la collaboration, y compris la coopération militaire». La Suisse continue donc de miser, pour sa propre sécurité extérieure ou intérieure, sur l’hypothèse d’une volonté politique commune des 27 Etats de l’UE. Ainsi que, en matière de police et de prévention, sur le renforcement des systèmes européens d’échanges d’informations dans le cadre de l’espace Schengen, de contrôle automatique des empreintes ou des documents.

Le rapport insiste beaucoup sur l’interdépendance de la Suisse avec ses voisins européens et sur la nécessité de renforcer la collaboration internationale, notamment pour la détection précoce des menaces. Pourtant, la récente interview de la ministre de la Défense, Viola Amherd, dans la Neue Zürcher Zeitung ne laisse pas entrevoir une véritable volonté de participation active de la Suisse pour un système de sécurité européen. «Nous ne pouvons pas pour des raisons politiques acheter un avion de combat qui serait plus cher», dit-elle. Excluant vouloir mettre dans la balance aussi bien le bénéfice que retire le pays du parapluie européen que les négociations pour l’accord institutionnel avec Bruxelles. Comme si la Suisse pouvait encore feindre d’ignorer que sa sécurité, donc une partie de sa souveraineté, est toujours un peu plus déléguée à ses voisins. ■

La Suisse continue de miser, pour sa propre sécurité extérieure ou intérieure, sur l’hypothèse d’une volonté politique commune de l’UE

Subjectif

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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