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Le nouveau compromis social

FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALISTE

Réunis à Porto pour un «sommet social», les 27 Etats de l’Union européenne devraient adopter ce samedi un «plan d’action». Il se fixe trois objectifs pour 2030: un emploi pour au moins 78% de la population âgée de 20 à 64 ans; une formation continue pour 60% des adultes; une diminution de 15 millions du nombre de personnes menacées par la pauvreté et l’exclusion. L’UE s’engage à harmoniser les salaires minimaux, à l’égalité salariale et à l’égalité de traitement pour les travailleurs détachés selon le principe «un salaire égal pour un travail égal dans un même lieu» afin de lutter contre le dumping.

Certains balaieront ce texte comme une simple déclaration d’intention. Une de plus. L’UE n’at-elle pas déjà promis, en 2017 à Göteborg, un «socle des droits sociaux» énonçant une vingtaine de principes qu’on peine à voir se réaliser? L’inégalité n’est-elle pas en train de se creuser sur l’ensemble du continent? De fait, ce projet social est loin de faire l’unanimité, et l’Europe se déchire selon un schéma désormais classique entre le nord, le sud et l’est du continent. Une fois encore, on pourrait bien entendre davantage les voix critiques (de gauche et de droite) de ce plan que les engagements concrets paraphés par les chefs d’Etat.

On peut aussi faire une autre lecture de ce sommet, que la présidence portugaise promet «historique». Car les choses bougent, les esprits changent. Une décennie d’austérité et une année de pandémie font évoluer les fronts sur le plan social. Et ce qui n’était qu’une déclaration à Göteborg se traduit bien en plan d’action à Porto. Celui-ci sera d’autant plus crédible qu’il ne relève pas d’une décision «technocratique» – comme on aime à décrire la machinerie bruxelloise – mais d’une négociation associant cette fois-ci les syndicats et le patronat. Ensemble, ils réfléchissent à une convergence de normes sociales entre Etats et entre partenaires sociaux qui prend un nouveau sens.

Comment l’expliquer? L’an dernier, l’UE accouchait d’un plan de relance (750 milliards d’euros) dont une partie du financement sera réalisée par une mutualisation de la dette. Un premier tabou tombait. Les Etats «frugaux» ont cédé. La même année était décidé un «plan vert» devant permettre de lever 1000 milliards d’euros (fonds publics et privés) pour assurer une transition écologique «juste». Ce plan tient compte d’impératifs sociaux pour transformer l’économie. Là aussi, c’est nouveau.

Sous le coup des crises à répétition, les mentalités évoluent. Les arbitrages entre la promotion de la concurrence et la sécurité de

Une décennie d’austérité et une année de pandémie font évoluer les fronts

l’emploi, ou pour le dire autrement entre capital et travail, se réorientent lentement en faveur du deuxième terme de l’équation. Ce constat ne vaut pas que pour l’Europe. Deux décennies de globalisation néolibérale ont peutêtre accouché d’un monde un peu «plus plat». Il y a bien eu un rééquilibrage entre les pays, l’exemple le plus spectaculaire étant celui de la Chine. Mais, dans le même temps, les disparités se sont notablement renforcées à l’intérieur des Etats. La concurrence mondiale a eu un double effet: à la fois égalitaire (entre nations) et inégalitaire (au sein des nations).

Le retour du social n’est pas un effet de mode. Il répond à une demande de plus en plus pressante de sécurité et de cohésion. Mieux, nombre d’économistes admettent de nouveau que le social est bon pour l’efficience économique. Après avoir démantelé son modèle communiste, la Chine construit les bases d’un Etat social moderne. Les Etats-Unis veulent rattraper leur retard sous l’impulsion de Joe Biden, qui promet de redonner une voix aux syndicats. Mais c’est la social-démocratie européenne (ou l’économie de marché sociale) qui reste à ce jour l’exemple le plus abouti d’un équilibre entre liberté du marché et protection des individus. S’il y a un modèle européen, c’est bien celui-là. Il s’essoufflait. Porto lui redonne du sens. ■

Subjectif

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