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Pourquoi Zurich vaccine plus lentement qu’ailleurs

CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

Le canton le plus peuplé de Suisse se situe au bas du classement en termes de rythme de vaccination. Il annonce désormais l’ouverture des inscriptions dès 16 ans

A Zurich, au début de l’année, les images de vastes centres cantonaux incarnaient la promesse d’un moment historique: tout semblait prêt pour une «vaccination de masse» contre le covid. Comme partout ailleurs, les doses ne sont pas arrivées dans les quantités espérées et les centres n’ont jamais pu fonctionner au maximum de leur capacité.

Mais, au cours des dernières semaines, alors que d’autres cantons très peuplés comme Vaud et Berne ouvraient l’accès à la piqûre aux plus jeunes, le temps semblait suspendu à Zurich. «A quel point sommes-nous en retard?» titrait jeudi le Tages-Anzeiger, dressant une comparaison peu favorable au moteur économique de la Suisse: le canton qui d’ordinaire donne le ton stagne au bas des classements de la vaccination.

Le premier de classe apprécie peu de se retrouver dans le rôle du mauvais élève. La direction de la santé zurichoise n’a eu de cesse, ces jours, de promettre l’ouverture prochaine de la vaccination aux plus jeunes aussi. C’est fait désormais: la population dès 16 ans peut s’enregistrer pour un rendez-vous, a annoncé vendredi la médecin cantonale adjointe Bettina Bally.

Manque de doses

Mais malgré l’élargissement des classes d’âge et l’ouverture de 50000 nouvelles inscriptions annoncées cette semaine – dont 30000 se feront via les 160 pharmacies du canton – une partie de la population de plus de 50 ans attend encore un rendez-vous. Moins de 8% de la population zurichoise est entièrement vaccinée, contre 11% en moyenne en Suisse et 13,45% à Genève, d’après les chiffres de l’Office fédéral de la statistique.

Chez les vert’libéraux, parti qui s’était montré le plus sévère envers la gestion de crise du gouvernement cantonal, la critique reste pourtant tempérée: «Nous aimerions que cela aille plus vite, le canton aurait pu mieux anticiper les problèmes logistiques, mais Zurich a une bonne stratégie. Il rencontre des difficultés propres à un canton de 1,3 million d’habitants. Le principal problème, c’est le manque de doses. Nous comptons désormais sur la détermination de la population à se faire vacciner», souligne le député au Grand Conseil Ronald Alder.

Or le mécontentement gronde parmi les professionnels de la santé. «Zurich a souffert du manque de vaccins à disposition en début d’année, d’autant plus que sa population est jeune et que du coup, proportionnellement, le canton a reçu moins de doses qu’ailleurs. Mais cela n’explique pas tout», remarque Thomas Hauser, médecin installé au Centre d’immunologie de Zurich et président de la Société suisse d’allergologie et d’immunologie (SSAI).

Outre des pannes et trois changements successifs du système d’enregistrement durant les premières semaines, les lenteurs tiennent aussi à la stratégie adoptée par le grand canton urbain: d’une part, vacciner en priorité l’ensemble des personnes à risque et le personnel de santé, avant de passer à la population lambda. Et, d’autre part, garantir la seconde dose de vaccin pour quiconque en reçoit une première.

C’est l’un des principaux reproches adressés au programme de vaccination zurichois: la réserve de doses sur laquelle le canton s’est assis. «C’était sage au début, car la seconde dose ne peut être administrée plus de quatre à six semaines après la première. Mais désormais, cette prudence est un frein: nous ne sommes plus dans la situation de pénurie du début de l’année», observe Thomas Hauser.

«Une fois que l’OFSP et les fournisseurs de vaccins nous ont rassurés début avril sur la fiabilité des livraisons au deuxième trimestre, nous avons ajusté notre stratégie et réduit nos réserves. Nous ne retenons plus non plus les secondes doses», explique de son côté la direction de la santé. Le canton dispose encore d’une réserve de 190000 doses, élevée en comparaison nationale.

Mais pour Thomas Hauser, ce n’est pas tout: «Le canton mise sur les médecins généralistes dès le départ, ce qui est bien car ils sont les mieux placés pour identifier les patients à risque: 959 cabinets ont été livrés avec le vaccin Moderna depuis le début de l’année.» Durant le premier trimestre, Zurich a vacciné essentiellement dans les EMS, les hôpitaux et les cabinets de généralistes.

Mais, en ouvrant début avril la vaccination aussi dans les onze centres de vaccination alors que les doses arrivaient encore au compte-gouttes, le canton s’est retrouvé avec des centres sous-utilisés et des généralistes dans l’incapacité de répondre à la demande de leurs patients, estime encore Thomas Hauser: «Les centres de vaccination sont adaptés au moment où une large population a accès à la piqûre. Il aurait fallu les ouvrir successivement deux ou trois semaines plus tard. Aujourd’hui, dans mon cabinet, comme partout ailleurs, nous en sommes encore à vacciner nos derniers patients à risque. Et maintenant que le canton ouvre précipitamment la vaccination à de nouvelles classes d’âge, nous sommes d’autant plus en concurrence avec les centres.»

Le médecin résume le problème ainsi: «La direction de la santé a fait preuve d’un manque de flexibilité et de créativité. Elle a préféré coller à son plan de départ, plutôt que de s’adapter à la réalité de la campagne de vaccination.» ■

«La direction de la santé a préféré coller à son plan de départ, plutôt que de s’adapter à la réalité de la campagne de vaccination»

THOMAS HAUSER, MÉDECIN AU CENTRE D’IMMUNOLOGIE DE ZURICH

Suisse

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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