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Quel profil pour les procureurs extraordinaires?

FATI MANSOUR @fatimansour

La récusation de Stefan Keller, chargé d'instruire le volet pénal des rencontres secrètes entre le Ministère public de la Confédération et le patron de la FIFA, met en lumière une erreur de casting. A Genève, le parlement planche sur la question de ces nominations spéciales et veut les limiter à des procureurs en exercice

C'est un peu l'arroseur arrosé. Stefan Keller, le procureur extraordinaire désigné pour enquêter sur les éventuelles turpitudes ayant motivé les rencontres occultes entre le patron de la FIFA et l'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber, est bouté hors de la procédure en raison de sa communication sensationnaliste, unilatérale et peu digne de confiance. Les effets plus ou moins dévastateurs de cette récusation, demandée par Gianni Infantino et admise par la Cour des plaintes du Tribunal fédéral, devront encore être tranchés. Mais ce nouveau pataquès démontre déjà qu'il vaut mieux confier ces enquêtes spéciales à des parquetiers aguerris.

Un choix étonnant

Le nom de Stefan Keller apparaît pour la première fois dans cette affaire début juillet 2020. Il est alors désigné par l'Autorité de surveillance du parquet fédéral (AS-MPC) pour examiner quatre dénonciations pénales de particuliers visant les participants aux désormais célèbres réunions d'arrière-salles organisées en marge de l'affaire FIFA. Le Ministère public du canton de Berne qui a reçu cette patate chaude n'en a pas voulu et la procédure impose au MPC d'externaliser toute plainte qui concerne un de ses membres, a fortiori le plus important d'entre eux.

Le choix de Stefan Keller reste un mystère. Président du Tribunal cantonal d'Obwald, juge à temps partiel au sein de la chambre administrative, c'est un spécialiste des assurances sociales. Il a certes oeuvré comme procureur militaire, mais c'est une sorte de monde à part. Désigné tout d'abord pour examiner si les soupçons sont suffisants pour ouvrir une enquête (il dira que oui), il est ensuite élu procureur extraordinaire par les Chambre fédérales en septembre 2020 pour instruire cette même affaire après avoir obtenu la levée d'immunité d'un Michael Lauber déjà terrassé par une récusation et par la sanction administrative qui motivera sa démission.

Propulsé procureur spécial de l'affaire la plus sensible du moment, Stefan Keller crée son propre site internet pour communiquer sur ce dossier très médiatique avec un ton qui va causer sa perte. La décision de récusation relève le caractère peu objectif et unilatéral de l'information s'agissant de Gianni Infantino, poursuivi pour incitation à abus d'autorité, à violation du secret de fonction et à entrave à l'action pénale.

Défendu par Me David Zollinger, le patron de la FIFA est le seul à avoir levé ce lièvre qui profitera sans doute aux quatre autres prévenus de ce même dossier — Michael Lauber, Rinaldo Arnold (premier procureur du Haut-Valais) et André Marty (l'ex-chef de l'information du MPC) —, dont les conseils doivent se préparer à s'engouffrer dans la brèche. Aux yeux de Me Marc Henzelin, un des avocats de la FIFA, «cette récusation ne peut que mener à l'annulation de tous les actes de M. Keller, y compris sa décision d'ouvrir une enquête». Ce volet des conséquences sera tranché dans un deuxième temps.

«C'est un métier en soi»

En examinant les déclarations publiques de Stefan Keller, la cour n'a rien vu de factuellement neutre et correct transmis dans l'intérêt du public. Une manière de faire peu usuelle et la preuve qu'on ne peut pas s'improviser procureur du jour au lendemain, surtout avec un code de procédure aussi contraignant. Avec le recul, le conseiller national Christian Lüscher (PLR/ GE) concède que «cette affaire extrêmement sensible et dont le retentissement est quasi mondial nécessite un procureur particulièrement expérimenté qui ne se prendra pas les pieds dans le tapis à la première occasion». Me Henzelin se montre plus sévère: «Plus que l'inexpérience, c'est la mission de M. Keller qui a été mal perçue. Il a cru que son mandat était de nature politique, se comporter en Grand Inquisiteur, stigmatiser la FIFA et son président, et non de rendre la justice.»

A Genève, canton qui ne connaît pas le principe du procureur extraordinaire, une modification est à l'étude pour permettre le recours à des magistrats hors canton. La mouture privilégiée en commission (le vote a déjà eu lieu et le rapport va tomber sous peu) prévoit ce mécanisme uniquement lorsqu'un membre du Ministère public est concerné par une affaire en qualité de plaignant ou de prévenu. L'idée d'élargir ce dépaysement lorsqu'un dossier touche un ministre ou d'autres élus a été écartée. Pour rendre la solution praticable, ce projet prévoit précisément de constituer une petite réserve de procureurs externes (qui exercent dans d'autres cantons) afin de disposer de personnes qualifiées. «C'est un métier en soi», diront ceux qui le pratiquent au quotidien. ■

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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