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La Colombie secouée par les violences policières

ANNE PROENZA, BOGOTA t@anproenza

Un mouvement de protestation contre une réforme fiscale a été brutalement réprimé ces derniers jours. Les autorités reconnaissent 24 morts, une ONG, l’Unité de recherche des personnes disparues, dénonce 379 disparitions

Cela fait maintenant dix jours que la Colombie manifeste contre la politique du président Ivan Duque (droite). Ni le troisième pic de la pandémie de Covid-19, ni la répression brutale des mobilisations, ni l’appel au dialogue très tardif du gouvernement ne freinent le ras-le-bol de la population, qui défile dans tout le pays depuis le 28 avril.

«Le gouvernement a traité la mobilisation comme s’il s’agissait d’une guerre»

MARTHA BERNAL, VICE-PRÉSIDENTE DU SYNDICAT D’ENSEIGNANTS FECODE

Le bilan de la violence des forces de l’ordre, dénoncée par les Nations unies, l’Union européenne, Amnesty International, etc., est élevé: 24 morts dont au moins 11 liés aux agissements des forces de l’ordre selon les autorités, 37 selon l’ONG colombienne Temblores, 36 selon l’ONG américaine Human Right Watch (HRW). L’Unité de recherche des personnes disparues (UBPD), qui travaille normalement sur les disparitions dans le cadre du conflit armé, vient d’annoncer qu’elle avait recueilli les dénonciations de 26 organisations sociales et annonce 379 personnes disparues pendant les neuf premiers jours de manifestation.

La plupart des grandes chaînes de radio et de télévision, acquises au pouvoir, ont insisté sur les saccages et les actes de vandalisme qui ont eu lieu pendant ou en marge de manifestations pour la plupart pacifiques, ainsi que sur la pénurie qui menace certaines villes bloquées par les manifestants et des camionneurs qui ont rejoint le mouvement.

Pourtant, les témoignages de violences policières diffusés sur les réseaux sociaux, souvent en direct, sont innombrables et vérifiés ensuite par les ONG. «Nous avons analysé et vérifié plusieurs vidéos prouvant que la police colombienne avait fait un usage excessif et inutile de la force et avait utilisé des armes létales contre les manifestants», a écrit Amnesty International dès le 5 mai.

«Le gouvernement a traité la mobilisation comme s’il s’agissait d’une guerre», a dénoncé devant le parlement Martha Bernal, vice-présidente du puissant syndicat d’enseignants Fecode. Beaucoup de membres de l’opposition se sont inquiétés des appels à la violence émanant directement du parti au pouvoir, le Centre démocratique. Un tweet de l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010) soutenant «les soldats et les policiers à utiliser leurs armes pour défendre leur intégrité» a ainsi été supprimé par Twitter pour incitation à la violence…

Ivan Duque, lui, n’a pratiquement jamais évoqué les violences faites contre les manifestants par les forces de l’ordre. Tandis que le ministre de la Défense, Diego Molano, a dénoncé à plusieurs reprises l’infiltration de «groupes terroristes» dans le mouvement, justifiant de fait la militarisation de certains quartiers des grandes villes.

Réforme retirée

Face à la colère de la rue, le gouvernement a annoncé le 2 mai le retrait de la réforme fiscale à l’origine des manifestations, puis, le 3 mai, la démission du ministre des Finances qui l’avait proposée et enfin le 4 mai l’ouverture d’un «espace de dialogue» dans le cadre duquel le Comité national de grève devrait être reçu à la présidence le 10 mai.

La réforme fiscale à l’origine des manifestations du 28 avril représente la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans un contexte social, sanitaire et politique difficile. A un an de la prochaine élection présidentielle, le climat de polarisation politique ne cesse de croître. La pauvreté atteint 42,5% de la population.

La plupart des manifestations se déroulent dans une atmosphère pacifique à l’appel du Comité national de grève qui regroupe des syndicats ouvriers, d’enseignants, d’étudiants et des dizaines d’organisations sociales de plusieurs secteurs de la société (paysans, Amérindiens, afro-descendants, féministes, etc.).

Il représente un mouvement social massif, jeune et inédit, éclos en novembre 2019, au départ pour protester contre une réforme des retraites mais aussi pour défendre l’accord de paix de 2016 ou s’indigner des multiples assassinats de défenseurs des droits de l’homme ou d’ex-guérilleros signataires de l’accord de paix.

Etouffé par la pandémie et un long confinement, le mouvement resurgit aujourd’hui sous forte tension. «Bienvenue dans la génération qui ne se laisse pas faire», pouvait-on lire, lors d’un rassemblement, sur la pancarte d’un jeune étudiant.

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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