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Coups de semonce pour une zone de pêche

RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

EUROPE Après l’algarade qui, au large de Jersey, a opposé des pêcheurs français à la Marine britannique, les conséquences du divorce entre Londres et l’Union restent à estimer.

Des deux côtés de la Manche, les pêcheurs britanniques et français affichent leur colère. Ils sont otages des négociations sur le Brexit, mais également menacés par les nouvelles réglementations environnementales. Leurs chalutiers sont devenus le symbole d’un divorce négocié loin du terrain

La dernière bouffée de colère est venue des pêcheurs français. Lorsqu’une cinquantaine de leurs chalutiers se sont massés, le jeudi 6 mai, aux abords de l’île de Jersey, un semblant de guerre de la pêche s’est installé, illustré par l’arrivée sur place de deux navires de guerre britanniques. La Manche, nouveau théâtre des affrontements post-Brexit?

De retour à Saint-Malo hier, les patrons pêcheurs bretons nuançaient ce constat: «Il n’y a pas eu de grabuge et nous avons même eu la surprise de croiser des petits bateaux jersiais arborant des pavillons normands et bretons en guise de soutien», a raconté l’un d’entre eux, Victor Massu, au quotidien Ouest-France. Et pour cause: les menaces qui pèsent sur leur activité ne viennent pas seulement d’un côté. «Boris Johnson nous avait promis les droits de pêche sur tous les poissons qui nagent dans notre zone économique exclusive et nous n’en avons qu’une fraction», répétait au même moment à la télévision Andrew Locker, président de la Fédération britannique des organisations de pêcheurs. Difficile de trancher entre les réclamations des uns, habitués à pêcher librement dans les eaux anglaises plus poissonneuses, et la déception des autres, à qui les pro-Brexit ont vendu l’illusion d’une souveraineté maritime retrouvée.

L’accord commercial conclu entre Londres et Bruxelles le 24 décembre 2020 prévoit de nouveaux quotas de pêche européens dans les eaux territoriales britanniques plus poissonneuses et une période de transition jusqu’en juin 2026, à l’issue de laquelle les chalutiers continentaux devront renoncer à 25% de leurs prises. Problème: cette disposition n’est que théorique puisque chaque armateur non britannique doit disposer d’une licence annuelle. Or, au 30 avril, 88 licences ont été obtenues sur 163 demandées à Londres. Tandis qu’à Jersey, 41 licences ont été accordées sur 344, assorties de nouvelles réglementations sur le nombre de jours en mer ou sur le type d’engins de pêche autorisés.

En clair: le gouvernement conservateur de Boris Johnson veut mettre en oeuvre ses engagements électoraux malgré l’accord signé. «Nous allons reprendre le contrôle de nos eaux», avait fermement déclaré le premier ministre britannique le 8 janvier 2020, comme le rappelle le négociateur européen Michel Barnier dans son livre: «La Grande illusion – Journal secret du Brexit» (Gallimard). Qu’importe donc le texte approuvé le 28 avril par le Parlement européen…

Attitude ambivalente

La vérité est que les autorités françaises sont aussi responsables. «Si la Direction des pêches estime que les mesures restrictives sont nulles et non avenues, qu’elle nous fasse un papier pour le prouver et garantir la sécurité de nos pêcheurs», poursuivait vendredi un patron pêcheur, en montrant ses filets vides de l’habituelle cargaison de fruits de mer ramenée des eaux anglo-normandes: araignées, crabes ou bulots. Les entreprises du secteur pointent notamment du doigt l’attitude ambivalente des industriels de la transformation des produits de la pêche, pour qui peu importe l’origine de la marchandise. Le port de Boulogne, dans le nord de la

France, traite ainsi dans ses usines et ses conserveries 450 000 tonnes de poissons dont seulement 30 000 sont livrées par des locaux. «On va vers une autre confrontation entre propriétaires de chalutier et patrons d’usine, juge un familier du dossier. Les Britanniques veulent continuer de transformer leurs produits en France, car les débouchés commerciaux sont avant tout sur le continent.»

A ce conflit s’ajoute une autre inquiétude chez les pêcheurs français: l’impact sur leur activité des futures réglementations environnementales communautaires, avec l’augmentation annoncée des parcs éoliens offshore. Lesquels réduisent les zones de chalutage. Du côté de la baie de Saint-Brieuc, en Bretagne, où la pêche à la coquille Saint-Jacques est très réglementée, les pêcheurs reprochent aux négociateurs du Brexit de n’avoir pas mieux pris en compte l’homogénéité des règles en vigueur des deux côtés de la Manche et aux abords des îles de Jersey et Guernesey. Un quart des prises françaises en volume (environ 20% en valeur) proviennent des eaux britanniques. La dépendance est encore plus forte pour la Belgique (50% de ses prises en valeur), l’Irlande (35%), le Danemark (30%) et les Pays-Bas (28%). ■

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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