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Johnson vainqueur malgré les scandales

Les travaillistes, qui n’ont plus remporté de victoire majeure depuis 2005, continuent à reculer dans nombre de leurs bastions historiques. Mais le premier ministre britannique ne domine ni l’Ecosse ni le Pays de Galles

ERIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Le scandale du donateur qui a aidé Boris Johnson à payer la rénovation de son appartement, en dépit des règles? La petite phrase pour le moins malheureuse que le premier ministre britannique aurait prononcée en octobre, promettant de laisser «les corps s’empiler» plutôt que d’envisager un nouveau confinement? Les électeurs anglais ont envoyé ce jeudi un signal clair: ils n’en ont cure et continuent à soutenir Boris Johnson. Lors d’une série d’élections locales, dont seule une partie des résultats était connue vendredi soir, ils ont offert une franche victoire au Parti conservateur.

Le résultat le plus spectaculaire se trouve à Hartlepool, où se déroulait une élection législative partielle. La circonscription du nord-est de l’Angleterre, l’une des plus pauvres du pays, est un bastion travailliste depuis sa création il y a 46 ans. Jeudi, elle a basculé chez les conservateurs. L’avance est spectaculaire: la candidate Tory Jill Mortimer a obtenu 52% des voix, loin devant son opposant du Labour, qui en récolte 29%.

L’Angleterre votait par ailleurs pour 143 autorités locales, dont les premiers résultats vendredi soir dessinaient la même tendance: une nette victoire des conservateurs dans les campagnes et les petites villes, ce qui lui suffit largement à compenser sa perte des grandes villes, qui reviennent aux travaillistes.

Bête de scène, Boris Johnson a fait du Boris Johnson pour célébrer sa victoire. Il s’est rendu devant la baudruche géante à son effigie installée à Hartlepool, a levé le pouce en signe de victoire et a glissé sous le tapis toutes les controverses. «Le public veut que les politiciens se concentrent sur leurs besoins et leurs priorités: sortir de la pandémie et reconstruire [le pays], mais en mieux.» Sous-entendu: les révélations qui agitent la presse n’intéressent pas les électeurs.

Un paysage politique chamboulé par le Brexit

Derrière la victoire de Boris Johnson se trouve un paysage politique complètement chamboulé depuis le Brexit. Le nord du pays, qui avait voté pour la sortie de l’Union européenne, a basculé chez les conservateurs. Hartlepool avait ainsi voté à 70% pour le Brexit. Aux élections législatives de 2019, le quart de ses électeurs avait choisi le Brexit Party de Nigel Farage. Ce sont eux qui se rangent désormais derrière le premier ministre britannique.

Ce tremblement de terre avait commencé sous Theresa May, mais il s’est vraiment concrétisé avec la grande victoire de Boris Johnson aux élections législatives de décembre 2019. Le «mur rouge», ces circonscriptions du nord aux mains des travaillistes depuis des décennies, s’était écroulé, passant largement au bleu des tories.

Outre le Brexit, Boris Johnson bénéficie de deux autres facteurs. Son principal slogan est aujourd’hui de «rééquilibrer le pays», pour aider le nord pauvre. Il a lancé de grands travaux d’infrastructures et il a choisi une approche économique très «européenne» de la pandémie: chômage partiel garantissant 80% des salaires, aides sociales d’urgence généreuses, dépenses «quoi qu’il en coûte»…

Par ailleurs, si son bilan de la pandémie n’est pas bon – 127000 morts –, il a réussi la campagne de vaccination. Les deux tiers de la population adulte ont été vaccinés. Le pays est en train de se rouvrir, laissant souffler un vent d’optimisme.

Le parti des étudiants et des classes moyennes citadines

«Le public veut que les politiciens se concentrent sur ses besoins et ses priorités»

BORIS JOHNSON

Les travaillistes présentent, eux, un très mauvais bilan. Ils n’ont pas gagné une élection législative depuis seize ans, en 2005. Le parti domine certes les grandes villes, qui étaient contre le Brexit. Sadiq Khan, le maire de Londres, et Andy Burnham, celui de Manchester, sont presque certains d’être réélus (les résultats ne sont attendus que lundi). L’autorité locale de Cambridge, localité très anti-Brexit, a également été perdue par les conservateurs, qui n’y ont plus qu’une majorité relative. Mais les travaillistes ont perdu leur traditionnelle base électorale. Leur vote se concentre aujourd’hui chez les étudiants et les classes moyennes citadines. Keir Starmer, son leader depuis un an, fait cet aveu catastrophique: «Nous avons perdu la confiance des classes populaires.»

Il faut néanmoins relativiser la victoire de Boris Johnson, qui ne domine que l’Angleterre. Au Pays de Galles, qui votait pour son assemblée, les travaillistes conservent leur domination historique, malgré une légère baisse. En Ecosse, dont les résultats seront connus samedi, les indépendantistes devraient largement remporter le scrutin. John Curtice, politologue de l’Université de Strathclyde, en conclut: «Depuis [le Brexit], il n’y a plus de politique britannique.» A la place, il existe des politiques anglaise, écossaise, galloise et nord-irlandaise. ■

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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