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L’économie suisse reprend le chemin de la croissance à la vitesse grand V

Chômage en baisse, consommation au beau fixe et entrepreneurs optimistes: l’économie suisse s’est redressée avec rapidité. Mais les difficultés des restaurateurs et une possible refonte de la branche du tourisme pourraient freiner cet enthousiasme

RACHEL RICHTERICH @RRichterich

La consommation renoue avec ses niveaux d’avantcrise depuis janvier. Le taux de chômage a reculé pour le troisième mois consécutif en avril

■ Pour la première fois depuis le début de la crise, les entreprises qui prévoient d’embaucher sont plus nombreuses que celles qui pensent réduire leurs effectifs

■ A l’étranger, les mesures des partenaires commerciaux de la Suisse ont porté leurs fruits. Les campagnes de vaccination renforcent cet optimisme

■ Plusieurs secteurs connaissent de graves difficultés. L’hôtellerie-restauration n’a donné aucun signe d’amélioration depuis janvier

Elle dessine bel et bien un V. «Un V profond, mais un V tout de même», insiste Claude Maurer, chef économiste de Credit Suisse, en décrivant l’évolution de la conjoncture helvétique depuis l’éclatement de la pandémie il y a plus d’un an. La reprise est aussi spectaculaire et rapide que ne l’ont été les chutes de revenus dès le début des mesures de restriction – jusqu’à 90% pendant les premières semaines selon les secteurs.

Désormais, tous les indicateurs pointent vers le haut: la consommation renoue avec ses niveaux d’avant-crise depuis janvier, relevait mardi le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). De quoi consolider la confiance des entreprises, pour qui, dans l’ensemble, la marche des affaires s’est encore accélérée en avril, selon le Centre d’études conjoncturelles de l’EPFZ (KOF). Le dynamisme est particulièrement marqué dans le secteur manufacturier chez les grossistes et chez les détaillants. Dans son enquête publiée mercredi, l’institut zurichois ajoute que, dans le commerce de détail, la situation n’a jamais été aussi bonne depuis la crise financière de 2008.

Embellie y compris sur le front de l’emploi, où le taux de chômage a reculé pour le troisième mois consécutif en avril pour s’établir à 3,3%, selon les données publiées vendredi par le Seco. Il s’inscrivait à 2,6% en janvier 2020. Et, pour la première fois depuis le début de la crise, les entreprises qui prévoient d’embaucher au cours de ce trimestre sont plus nombreuses que celles qui prévoient de réduire leurs effectifs, soulignait le KOF lundi en publiant ses perspectives pour l’emploi.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce redressement, à commencer par un effet de rebond quasi automatique dû aux réouvertures, comme observé après la première levée des restrictions. «La demande est là et les entreprises ont dans l’ensemble tenu bon, soutenues par les aides fédérales et cantonales», relève Claude Maurer. En particulier le recours facilité aux RHT qui a permis de préserver l’emploi. Conservant son pouvoir d’achat et forcé à épargner en raison des fermetures, le consommateur ne demandait qu’à dépenser, ajoute Klaus Abberger, du KOF.

Relance et investissements

A l’étranger aussi, les mesures de soutien à l’économie des principaux partenaires commerciaux de la Suisse ont porté leurs fruits, note Klaus Abberger. L’Europe s’est en outre dotée d’un plan de relance à 750 milliards d’euros, destiné à atténuer les effets de la crise, et les Vingt-Sept se réunissaient vendredi après-midi à Porto, au Portugal, pour plancher sur la construction d’une Europe poste-pandémie plus sociale.

Outre-Atlantique, c’est 1900 milliards de dollars qui ont été débloqués par l’administration Biden pour la relance, suivis d’un plan d’investissements chiffré à 1800 milliards sur dix ans, dont 1000 milliards d’investissements et 800 milliards de réductions d’impôts pour la classe moyenne. «L’économie chinoise s’est quant à elle déjà rétablie depuis plusieurs mois», ajoute l’expert du KOF, soulignant que «les biens circulent désormais sans problème à travers le monde». De quoi cimenter la confiance.

Autre facteur déterminant: les campagnes de vaccination qui vont bon train, en Suisse, où plusieurs cantons ont ouvert la vaccination aux plus de 16 ans, de même que chez ses principaux partenaires commerciaux. Idem au sein de l’UE, tandis qu’aux Etats-Unis, après avoir distribué près de 220 millions de doses, Washington a annoncé en début de semaine une nouvelle phase destinée à convaincre les sceptiques à coups d’incitations. «Tout cela renforce la conviction que la sortie de crise n’est plus qu’une question de mois», note Claude Maurer.

Le chef économiste de la banque aux deux voiles se dit toutefois «prudemment optimiste» pour la suite. Selon lui, la dynamique actuelle ne permettra pas de combler le retard qu’a pris l’économie suisse, freinée par la pandémie sur une trajectoire de croissance soutenue. Les 36 milliards de francs d’aides étatiques ne couvrent pas l’ensemble du manque à gagner lié à la crise, que Claude Maurer évalue à 57 milliards de francs. «Le rythme sera durablement ralenti», selon lui.

D’autant que d’importantes incertitudes subsistent, y compris au sein des secteurs porteurs comme l’industrie manufacturière, les grossistes et les détaillants, où les entreprises font état de difficultés à se fournir, note le KOF. Klaus Abberger pointe aussi de fortes disparités dans le commerce de détail, «les grands acteurs ressortent de la crise avec des ventes record, tandis que les plus petits connaissent d’importantes difficultés».

Nouveau creux pas exclu

Enfin, des pans entiers de l’économie se trouvent encore en proie à d’extrêmes difficultés. C’est le cas de l’hôtellerie-restauration, qui n’a donné aucun signe d’amélioration depuis le début de l’année, avertissait le KOF mercredi. L’embryon d’enthousiasme lié à la réouverture des terrasses à la mi-avril s’est vu douché par une météo capricieuse. Dans la branche, qui représente 5% de l’emploi total, les perspectives pour le marché du travail connaissent en outre des plus bas historiques, en raison des faillites qui pourraient se déclarer une fois que les aides arriveront à leur terme.

Dans son ensemble, la branche du tourisme connaît une crise que certains qualifient d’existentielle. Au World Tourism Forum Lucerne qui se tenait la semaine dernière, le tourisme de masse a été promis à un sombre avenir et les participants pointaient les incertitudes quant aux voyages professionnels. «Avec la généralisation du télétravail, y aura-t-il encore des voyages d’affaires? Qu’en sera-t-il des congrès? Et dans ce contexte, de quelle manière l’offre et les capacités des hôtels seront-elles redimensionnées et repensées?» s’interroge Klaus Abberger.

Pour Claude Maurer, la pandémie n’a été que le catalyseur de tendances sous-jacentes, mais il n’en attend pas de révolution. «Les activités reprennent à mesure que les restrictions tombent. En témoigne la reprise des voyages vers les pays sitôt qu’ils sortent des listes de quarantaine obligatoire», observet-il. Le chef économiste table sur une croissance de 2% cette année. Mais aucun des deux experts interrogés n’exclut le risque que l’économie rechute, pour finalement dessiner un W.

Des pans entiers de l’économie se trouvent encore en proie à d’extrêmes difficultés

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2021-05-08T07:00:00.0000000Z

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